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Dans les CAF « dématérialisées », l’objectif du social s’évapore

2 Juin 2010 , Rédigé par force.ouvriere.caf Publié dans #Situation dans les CAF

Source : http://www.humanite.fr/2010-05-31_Politique-_-Social-Economie_Dans-les-CAF-dematerialisees-l-objectif-du

Politique / Social - Économie - Article paru dans l'humanité
le 31 mai 2010

Le travail dans tous ses états

Dans les CAF « dématérialisées », l’objectif du social s’évapore

Empruntant à la logique du secteur privé, la restructuration des CAF, branche famille de la Sécurité sociale, met à mal les conditions de travail des agents et leurs missions de service public. De chaque côté des guichets, le malaise s’accentue et la colère gronde.

« On reçoit le double d’appels qu’il y a trois ans sans être plus nombreux, on trime avec des dossiers complexes, un monde fou », lance un agent d’accueil de la Caisse d’allocations familiales. Depuis des mois, les usagers de nombreuses CAF de l’Hexagone trouvent portes closes. Des fermetures répétées dont la raison n’est pas les grèves, qui se sont multipliées ces derniers mois parmi les salariés dont les conditions de travail et d’emploi se sont terriblement dégradées, mais bien les dysfonctionnements de l’institution, à cause de la restructuration en cours. Dans le contexte de la crise, qui a vu exploser les situations d’urgence sociale et la mise en place précipitée du RSA, les agents constatent la disparition pure et simple de certaines de leurs missions spécifiques et, davantage que les circonstances, ils accusent une modification radicale du modèle d’intervention sociale français. Aux guichets, l’attente interminable, les pertes de droits, les retards de versements et les indus générés par les erreurs du système aggravent les difficultés financières et la détresse des allocataires, dont le mécontentement croît, ainsi que l’agressivité vis-à-vis du personnel d’accueil.

Les témoignages attestent d’une explosion de la souffrance au travail. En février, une employée de la CAF de Valenciennes a été licenciée, après quinze ans de carrière, pour « impossibilité de reclassement », car elle n’était plus capable d’effectuer d’accueil. « L’approche taylorisée dans l’organisation du travail n’a pas épargné les personnels sociaux », souligne Anne-Marie Meynard, assistante sociale à la CAF des Bouches-du-Rhône et responsable de l’Ugict CGT. Le changement de culture signe l’apparition d’un nouveau vocabulaire professionnel, « on ne parle plus de besoin mais de coût, de gens mais de “files actives” (nombre de bénéficiaires du RSA), et on évalue l’“efficience” du travail social en sacrifiant le qualitatif au quantitatif ». Alors que les tâches se multiplient, les dispositifs deviennent plus complexes. « Les ordinateurs sont programmés avec les nouveaux critères, mais les agents qui, devant l’écran, traitent les dossiers ne sont pas des machines  ! » reconnaît Francis Mergel, administrateur de la Cnaf et directeur de la CAF de Bar-le Duc, dans la Meuse. L’État généralise le non-remplacement d’un départ en retraite sur deux et les agents subissent heures supplémentaires imposées, rachats ou refus des RTT, reports de vacances et non-renouvellement de temps partiels. Les conventions d’objectifs et de gestion (COG) marquent le passage de la notion d’aide à celle de productivité. Accueil téléphonique en moins de vingt minutes, temps de réponse de trois minutes par allocataire, dix jours pour le traitement des dossiers des minima sociaux et quinze jours pour les autres dossiers, « les agents sont censés recevoir une centaine d’usagers dans la journée », souffle Antoine Leborgne, technicien conseil à la CAF du 15e arrondissement de Paris et responsable CGT du réseau des CAF. Au nom de la polyvalence, les assistantes sociales doivent faire de l’accueil administratif et voient leur métier déqualifié.

Présentée comme la solution aux problèmes d’effectifs, la « dématérialisation », c’est-à-dire le passage au tout-numérique, a de lourdes conséquences. Pour Alfred, expert conseil, « l’informatique pousse à l’uniformisation ». « La notion institutionnelle de service public cède le pas au management industriel, complète Antoine Leborgne, les usagers deviennent des clients. » Avec la mise en place du programme Cristal et de la « corbeille électronique », porte-documents informatisé, les dossiers sont traités en ligne, les accueils physiques remplacés par des plates-formes téléphoniques ou des bornes, et certains pôles de compétence externalisés. Ce système, via la mutualisation des tâches, rend possible le passage de 123 établissements autonomes à l’heure actuelle à 8 superstructures décisionnaires. Cette fusion signifierait la fin du travail social de proximité adapté aux besoins des familles, au profit d’une offre de service préétablie nationalement. Elle éloignerait aussi les caisses de leurs allocataires. En contrepartie, « on met en place en urgence des personnels précaires pour donner l’illusion d’une réponse téléphonique », note Anne-Marie Meynard, en évoquant l’annonce par le gouvernement de la création de 400 CDD destinés à des « plates-formes téléphoniques régionales temporaires ».

Dans le même temps, les syndicats dénoncent la grille salariale actuelle, fondée sur une évaluation annuelle par entretien. « Alors que la moyenne d’âge dans les CAF est de quarante-cinq ans, les jeunes, formatés pour produire, sont embauchés à très bas salaire. Les employeurs leur cèdent donc plus facilement des points de compétence, plaide Antoine Leborgne, ce qui développe une compétition que les agents vivent mal. » Les cadres sont obnubilés par les objectifs de productivité et n’apportent plus le soutien technique dont les agents ont besoin pour faire face à une législation de plus en plus complexe. Les rythmes de production impactent la santé. « La posture du travail sur l’ordinateur à longueur de journée crée des tensions physiques et nerveuses, entraîne des relations aux autres difficiles », ajoute le syndicaliste. Et si l’évaluation des risques psychosociaux n’a pas encore officiellement commencé, à Marseille, les salariés ont d’ores et déjà saisi le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Tandis que les relations se dégradent entre allocataires et agents, victimes d’une même logique productiviste, les travailleurs sociaux ont parfois l’impression d’être instrumentalisés dans des dispositifs coercitifs et répressifs au nom d’une « lutte contre la fraude » érigée en question prioritaire en 2010 par le gouvernement. Alors que certains pointent du doigt les dérives, lugubres échos aux heures les plus noires des services sociaux français, l’avenir de tout un système se joue… à guichet fermé.

Clémentine Cirillo-Allahsa

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